Rock d'origine contrôlée

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Le coffret thématique "Elvis Presley & the American Music Heritage", sorti récemment en France, confronte les titres chantés par le King (ici sur scène, en 1956) aux versions de leurs interprètes originaux.
Le coffret thématique "Elvis Presley & the American Music Heritage", sorti récemment en France, confronte les titres chantés par le King (ici sur scène, en 1956) aux versions de leurs interprètes originaux. | TIME & LIFE PICTURES/GETTY IMAGE/A. Y. OWEN

"Les sourires, bananes et déhanchés de Chuck Berry, Gene Vincent, Eddie Cochran, Bo Diddley, Roy Orbison ou Elvis Presley ont beau se figer dans une éternelle adolescence, les pionniers du rock'n'roll ont atteint un âge suffisamment vénérable pour que leurs éclats juvéniles tombent dans le domaine public. Leurs enregistrements, vieux de plus de cinquante ans, échappent, en Europe, à la propriété de leurs producteurs d'origine. Sans payer ces derniers, n'importe qui peut désormais assurer la réédition de ce patrimoine vieillissant. Ou du moins d'une partie de ce patrimoine. Car, sous la pression des multinationales du disque qui paniquaient à l'idée de voir leur échapper la manne pop des années 1960 – symbolisée en particulier par le lucratif catalogue des Beatles –, une directive européenne a élargi le droit de propriété du producteur à soixante-quinze ans pour les productions postérieures à 1962.
Parmi les labels indépendants qui se sont spécialisés sur ce marché, certains se contentent de presser à la va-vite des compilations à deux sous à partir de sources sonores douteuses et sans plus d'informations que la liste des morceaux. D'autres, telle la maison de disques allemande Bear Family, conçoivent des intégrales d'apparat, véritables pièces de collection, aussi chères qu'encyclopédiques. En France, une des principales entreprises du genre, Frémeaux & Associés, investit moins dans les artefacts que dans les contenus. Aux fac-similés reproduisant pochettes d'origine et gadgets, vendus à prix d'or par les labels spécialisés japonais, cette maison de disques vouée à la mémoire sonore préfère le design sommaire de gros boîtiers plastique, que deux ou trois CD et un livret intérieur transforment en objet de référence plus qu'en objet de luxe.
En franchissant les portes de cette société, installée à Vincennes, n'a-t-on pas d'ailleurs l'impression de pénétrer dans un musée plus que dans une maison de disques ? Une jolie collection d'art africain rappelle que cette entreprise familiale, fondée en 1992 par Claude Colombini et son époux, Patrick Frémeaux, est également galeriste et marchande d'art. « Notre travail sur le patrimoine sonore est consacré à une pédagogie muséographique », insiste Patrick Frémeaux, revendiquant « une approche hyperculturelle du divertissement ». Dans une époque résignée au tout-image, ce passionné de 47 ans reste persuadé que « le son provoque un imaginaire plus fort que le visuel ». La variété du catalogue de ce temple de l'audio semble infinie : discours politiques (Léon Blum, de Gaulle, François Mitterrand...), guides ornithologiques, cours de philosophie, contes pour enfants, documents radiophoniques, livres audio…
DIDACTISME
Les musiques populaires restent au cœur de ce travail d'archiviste pour celui qui inaugura son label avec une compilation consacrée à l'accordéon musette. Si Patrick Frémeaux produit parfois des artistes contemporains - en particulier en jazz (Romane, Didier & Francis Lockwood...) -, l'essentiel de ses sorties concerne l'exploitation du patrimoine tombé dans le domaine public. Pour la collection "The Indispensable", consacrée depuis quelques mois aux pionniers du rock'n'roll, le label s'appuie sur l'expertise de Bruno Blum, l'un des directeurs artistiques indépendants (avec Gérard Herzhaft, François Jouffa, Jacques Barsamian...) garantissant à ces coffrets leur plus-value éditoriale. Qualités requises : une parfaite maîtrise de l'artiste concerné, de son importance historique, esthétique, sociologique ; la connaissance aussi d'un réseau de collectionneurs permettant de récupérer les documents sonores. « Je me pique de sortir le vrai son d'époque », revendique Bruno Blum, journaliste, écrivain, musicien, historien diplômé en musicologie, passionné entre autres par l'histoire du rock et les musiques caribéennes. « Rien ne vaut pour cela les pressages vinyles originaux, en mono, puisque la stéréo n'existait pas dans les années 1950. »
Ses relations lui permettent aussi de dégoter des raretés comme I Hope These Words Will Find You Well, de Joe Alexander and The Cubans, sur lequel on entend pour la première fois le jeu de guitare de Chuck Berry, ou Rock the Joint, dans lequel Bill Haley joue un solo identique à celui qui le fera triompher dans Rock Around the Clock, trois ans plus tard. « Ces morceaux doivent aider à une meilleure compréhension de l'œuvre sans chercher l'exhaustivité. Le but n'est pas de se limiter aux spécialistes. » C'est également le directeur artistique qui supervise le travail de restauration sonore (dans lequel Frémeaux a investi 3 millions d'euros depuis ses débuts), tout en s'attelant à la discographie et à la biographie figurant dans le livret. Leur précision comme leur ambition pédagogique permettent d'appréhender au mieux l'importance, par exemple, du jeu de guitare électrique de Bo Diddley.
Cheval de bataille du label, ce didactisme est omniprésent dans des coffrets thématiques comme « Elvis Presley & the American Music Heritage », dans lesquels des titres chantés par le King sont confrontés aux versions de leurs interprètes originaux, ou la série "Roots of Rock'n'roll" qui, en huit volumes, de 1927 à 1952, rappelle les origines noires de cette musique. La dimension culturelle de ce patrimoine est plus importante que sa réalité économique. Les ventes annuelles de ces disques vont de quelques centaines à quelques milliers d'exemplaires, mais Patrick Frémeaux met un point d'honneur à ne jamais retirer une référence d'un catalogue. La directive européenne retardant le passage dans le domaine public et la concurrence déloyale d'Internet inquiètent ces archivistes. « Laisser les droits trop longtemps aux mains d'industriels du disque ne se préoccupant que de rentabilité à grande échelle pourrait tuer tout un pan de la culture phonographique », regrette-t-il."
 

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